« Il
y a »
poème
de Guillaume Apollinaire,
extrait
du recueil «Calligramme »,
publié
en 1918.
Texte à travailler en lien avec l'album "Il y a", illustré par Laurent CORVAISIER
ll y a un vaisseau qui a
emporté ma bien-aimée
ll y a dans le ciel six
saucisses et la nuit venant on dirait des asticots dont naîtraient
les étoiles
ll y a un sous-marin
ennemi qui en voulait à mon amour
ll y a mille petits sapins
brisés par les éclats d'obus autour de moi
ll y a un fantassin qui
passe aveuglé par les gaz asphyxiants
ll y a que nous avons tout
haché dans les boyaux de Nietzsche de Goethe et de Cologne
ll y a que je languis
après une lettre qui tarde
ll y a dans mon
porte-cartes plusieurs photos de mon amour
ll y a des prisonniers qui
passent la mine inquiète
ll y a une batterie dont
les servants s'agitent autour des pièces
ll y a le vaguemestre qui
arrive au trot par le chemin de l'Arbre isolé
ll y a dit-on un espion
qui rode par ici invisible comme l'horizon dont il s 'est
indignement revêtu et avec quoi il se confond
ll y a dressé comme un
lys le buste de mon amour
ll y a un capitaine qui
attend avec anxiété les communications de la T.S.F. sur
l'Atlantique
ll y a à minuit des
soldats qui scient des planches pour les cercueils
ll y a des femmes qui
demandent du maïs à grands cris devant un Christ sanglant à Mexico
ll y a le Gulf Stream qui
est si tiède et si bienfaisant
ll y a un cimetière plein
de croix à 5 kilomètres
ll y a des croix partout
de-ci de-là
ll y a des figues de
Barbarie sur ces cactus en Algérie
ll y a les longues mains
souples de mon amour
ll y a un encrier que
j'avais fait dans une fusée de 15 centimètres et qu'on n'a pas
laissé partir
ll y a ma selle exposée à
la pluie
ll y a les fleuves qui ne
remontent pas leur cours
ll y a l'amour qui
m'entraîne avec douceur
ll y avait un prisonnier
boche qui portait sa mitrailleuse sur son dos
ll y a des hommes dans le
monde qui n'ont jamais été à la guerre
ll y a des Hindous qui
regardent avec étonnement les campagnes occidentales
lls pensent avec
mélancolie à ceux dont ils se demandent s'ils les reverront
Car on a poussé très
loin durant cette guerre l'art de l'invisibilité